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L’INRAE de Corse au service de l’agriculture insulaire


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 23 Mars 2024 à 16:55

C’est peut-être pour sa remarquable collection d’agrumes de San Ghjulianu que l’INRAE de Corse est le plus connu du grand-public. Mais ce volet de son activité n’est en réalité que la partie immergée de l’iceberg : l’institut a bien d’autres activités qu’elle place, depuis des années, au service de l’agriculture corse. Petit panorama…



« Avec plus de 1100 variétés, nous avons la deuxième plus belle collection d’agrumes du monde ! » explique André Torre, Président du Centre INRAE-CIRAD de Corse. Cette dimension patrimoniale fait la fierté du site de San Ghjulianu. Sa réputation a largement dépassé les frontières de notre île, au point que graines et plantes sont diffusées dans le monde entier. « En ce moment, nous faisons des vergers en Arabie Saoudite… Et nous allons créer un partenariat avec le château de Compiègne, pour leur fournir des prototypes destinés à leur orangeraie. Nous travaillons avec Cointreau, également… C’est un patrimoine de la Corse… et au-delà, de l’humanité ! ». 
Oranges, citrons, pamplemousses, cédrats et autres bigaradiers qui font la richesse de ce conservatoire n’ont pourtant pas poussé ici par hasard. Ils sont nés de patientes recherches, au fil du temps…

C’est en effet en 1958 qu’une station de recherche agronomique (SRA) s’est implantée à San Ghjulianu. L’INRA – qui deviendra INRAE par la suite – a pris le relais en 1965, avec une station d’agronomie autour des productions agricoles et plus particulièrement autour des agrumes. Enfin, en 1979, avant même l’ouverture de l’université, intervient la création d’un second laboratoire à Corti. « L’idée était de diversifier et d’aller sur des productions animales. » Corti va se consacrer à l’agriculture de montagne, en rapport avec sa situation géographique : travail sur le pastoralisme, les chèvres, brebis et cochons. « Sur la base de ces deux implantations, nous sommes aujourd’hui le principal institut de recherche en Corse ». 
 

La création de la clémentine de Corse
 « Nous avons une histoire ancrée dans l’histoire de l’agriculture corse des soixante et même soixante-dix dernières années. En particulier, si l’on regarde le rôle que nous avons joué dans la définition des produits agricoles… » L’AOC brocciu, l’AOP charcuterie de Corse ? L’INRAE y a travaillé, contribuant en lien avec les producteurs à la définition des caractéristiques retenues dans les différents cahiers des charges. C’est aussi le cas dans le domaine végétal : « Un de nos gros succès, c’est la clémentine de Corse. On a largement contribué à l’écriture de son cahier des charges. »

La découverte de ce fruit aujourd’hui emblématique de la Corse remonte aux années 1900 en Algérie. Il faudra attendre 1925 pour qu’elle arrive en Corse et s’installe sur la plaine orientale, puis soit développée à San Ghjulianu, dans les années 90. La profession rencontrait alors des difficultés. « Elle a sollicité les chercheurs de San Ghjulianu et de Corti pour les aider ». Un travail de longue haleine est entamé, avec des réunions hebdomadaires pendant un an et demi ! Il débouche sur l’élaboration d’un cahier des charges : « Une variété a été sélectionnée, avec de bonnes caractéristiques. Il fallait qu’elle plaise… Et qu’on la distingue des variétés produites au Portugal et en Espagne, avec une valeur spécifique ». Les belles feuilles vertes – une caractéristique initiale – n’ont bientôt plus permis de la distinguer tant elles ont été copiées. Mais acidité, couleur, lieu de production… d’autres critères ont été retenus pour la définition de l’IGP. « Avec la filière agrumes – puisque clémentines et pomelos sont les deux IGP existant en Corse à l’heure actuelle –, on a été des acteurs essentiels … et on continue ! ».
 
Une mandarine de Corse en projet
La preuve, le travail en cours pour une nouvelle variété de mandarine. Ici encore, la recherche est tirée par le besoin des producteurs. « Avec le réchauffement climatique, la période de récolte des clémentines s’est raccourcie ». Impossible de faire comme les producteurs de pommes du Grand-Est qui mettent les fruits au frigo et les sortent quand les pommes d’importation arrivent dans les commerces. Un procédé que le cahier des charges IGP clémentine de Corse interdit : tout au contraire, il impose que le fruit soit vendu dans les 48 heures suivant la cueillette. Entre les clémentines, désormais ramassées avant Noël, et les pomelos qui ne mûrissent pas avant le début de l’été, il y a un creux de production problématique… D’où l’idée de développer une mandarine de Corse qui permettra également une diversification : le marché de la clémentine est en limite de saturation.  Diversifier est le seul moyen de continuer à se développer.  « C’est une grosse opération ! ». 

Aidés financièrement par l’État et la Collectivité de Corse, et en accord avec Jean-Paul Mancel, de l’APRODEC et avec l’AOPN qui pilotent l’ensemble, les chercheurs ont mis au point plusieurs variétés de mandarines. Réunis autour d’une table, la totalité des agrumiculteurs et des organisations de producteurs a testé les différents fruits pour n’en retenir qu’un : saveur, facilité d’épluchage, période de maturité… « Nous appelons ça de la “sélection participative”. » L’élue n’a pas encore été baptisée. Pour l’instant, elle se contente de son nom de code, « à la James Bond ! » : la W9. Mais tout n’est pas fini pour autant : « On n’est pas au bout de nos peines. C’est comme pour les prototypes de voitures. Il faudra du temps entre le prototype de mandarine et la plantation… Notre objectif, c’est que l’on commence à planter dans deux ans. Puis il faudra encore trois ou quatre ans avant la première récolte ! Et pourquoi pas, dans le futur, une IGP Mandarine de Corse ? »  Un travail, donc, très ancré dans les filières et dans l’économie agricole corse.
 
Travailler à l’autonomie alimentaire
Mais cette économie connaît aujourd’hui une évolution en accord avec celle de la société. « Si l’on regarde les efforts de l’agriculture corse depuis les cinquante dernières années, on s’aperçoit qu’on a visé des produits d’excellence : que ce soit le vin, les agrumes, la charcuterie, le brocciu… » Des produits vendus chers, à l’exportation ou aux touristes. « C’est une réussite, car nous avons des produits-phares de l’agriculture corse. Mais la population corse en consomme-t-elle ? Dans le meilleur des cas, ce sont des produits de consommation festive… La question qui se pose, alors qu’on parle partout d’autonomie alimentaire, c’est à quoi sert l’agriculture corse aujourd’hui ? Est-elle bien orientée ? » 
L’île importe en effet près de 90 % de ce qui est consommé en Corse. « Nous sommes pratiquement dans une dépendance totale. Or aujourd’hui que nous sommes confrontés aux discussions sur l’autonomie, il est naturel de se poser la question de cette autonomie à différents niveaux et particulièrement de l’autonomie alimentaire. » Certes, la Corse n’est pas seule à souffrir de cette dépendance : c’est le cas de toutes les îles, c’est aussi le cas des villes. « Mais chez nous, la problématique se fait sentir de façon plus aigüe. J’en ai justement discuté au Salon de l’Agriculture avec Joseph Colombani, le Président de la chambre d’agriculture de Haute-Corse. C’est un long chemin, mais mettons-nous justement en chemin ! On est là pour aider les gens qui veulent faire autre chose. » 

Quelques premiers projets sont en cours. Un travail a été lancé avec le lycée de Borgu, pour la définition d’un Programme Alimentaire Territorialisé. « Nous commençons de façon modeste. C’est un travail de trois ans, avec l’appui d’une ingénieure. Il s’agit de voir comment installer des productions locales et surtout, comment faire consommer les biens produits localement par les Corses ! C’est quelque chose d’extrêmement important, parce qu’il y a une demande de la population de consommer des produits corses ! ». L’INRAE va également signer une convention avec la CAPA (Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien) dans le cadre des productions agricoles en milieu urbain. 

L’institut ne dispose peut-être pas toujours localement de l’ensemble des compétences nécessaires : « Mais nous sommes 14000 en France. Nous pouvons faire appel à d’autres ! Quand on ne sait pas faire, on mobilise ! » Un rôle de hub, de relais, qui va être mis à profit également dans le cadre de la création de l’école d’agronomie de Corti, Paolitech, et sans doute également pour la mise en œuvre du programme 4 pour 1000 – une initiative qui fédère des acteurs publics et privés en vue de lancer des actions permettant de stocker du carbone dans le sol : « Joseph Colombani m’a interpellé au Salon, en me demandant pourquoi seule la Corse ne l’avait pas encore lancé. Eh bien, on s’est emparé du problème : des chercheurs compétents du continent vont venir faire des prélèvements chez nous… »  
 

Autant d’étapes et de thématiques sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans de prochains articles…